Le parabombe

Fais attention aux bombes m'avaient-ils conseillé avant que l'on se sépare. Un vrai conseil d'ami ça. Je faisais attention. Je le jure mais j'avais peur des accidents. Cela faisait six mois que je ne les avais pas vus. Une demi année. Ma mère a eu 58 ans la semaine dernière. La moitié de la vie, m'a-t-elle dit avec un grand sourire... Je n'ai pas envie de mourir tout de suite.

C'est en marchant au milieu de la rue déserte que je me suis rendu compte qu'il était midi. La moitié de la journée. D'où est-ce que ça arrive, les bombes? Je me demandais si je les entendrais venir où si le Big Bang m'arracherait la peau et me secouerait les os avant même que j'ai pu dire ouf. Putain mais comment ils peuvent vivre avec cette pression sur les épaules? C'est pas une vie ça, c'est qu'une demi existence.

Peut-etre que je ne mourrai pas tout de suite. Que je me retrouverai seulement avec une demi-jambe, un demi-bras, des bouts de cervelle en moins. Peut-etre que mon corps restera indemne mais que c'est mon esprit qui partira, se volatilisera. L'esprit, c'est la moitié de la personne, je crois. La pluie a arrache les enormes publicites en tissu qui couvrent cet immeuble incroyable eventre et crible de balles, rare souvenir de la guerre qui s'est dechaine la il y a quelques temps. C'est ce qu'elle a fait de mieux la pluie.

Si je passe près de la mauvaise voiture, mais à distance raisonnable, peut-être que je garderai tous mes membres en échange de ma peau. Il paraît que les grands brûlés passent leurs journées dans des bains de solution qui permet de regénérer les tissus. Il paraît que parfois, leurs cheveux ne brûlent pas entièrement mais restent plutôt collés comme un croûte de laine d'acier. J'ai vu dans le journal la photo d'un Kenyan qui avait une flèche plantée dans la tête. Le mec attendait de se faire soigner à l'hôpital. Peut-être que pour moi, ce sera un enjoliveur. Sans savoir pourquoi, je surveille chacun de mes pas. Est-ce que ça se peut, des mines antipersonnels en pleine ville? Je ne vois pas comment ils auraient pu les foutre sous le ciment, et puis y aurait sûrement un truc qui dépasserait, une sorte de déclencheur.

Promenade du soir

Bof, s’exclame Thibaud en culbutant une canette de bière bosselée. Il se déçoit de ses propres souvenirs. Non, il n’était pas si grandiose, ce petit appartement qu’il avait loué, pour finir ses études. Et la petite femme qui l’y accompagnait, toute menue, et aux seins inamovibles, parce que si petits, et aux charmes discrets, aux lèvres demandantes! Qu’est-elle devenue? Thibaud se dit qu’il aimerait bien la revoir. Mais cela implique trop de démarches, trop de mots. Peut-être ira-t-il remuer le lieu de leur nid, situé, il s’en souvient, au fond d’un cul-de-sac. C’est le mieux qu’il puisse faire sans risquer gros : oui, les lieux restent muets, ne se plaignent pas d’avoir été quittés.
Ah, quelle déraison que de songer à elle, maintenant, si tard dans la vie? Qu’est-elle devenue, qu’est-elle devenue? Pas grand-chose, forcément, comme tout le monde.

*

Voilà donc le Vieux-port! Rien de bien bouleversant! Et Thibaud marche encore, et encore, sur la berge sans fin du fleuve. L’inutilité le gagne, le calme, l’anesthésie comme un opium. Thibaud se perd, plein de joie, dans son insignifiance. Rien à faire, rien à dire; qu’il est bon de n’avoir aucun faix sur les épaules! On sent que l’on pourrait mourir sans déranger personne.
Un instant Thibaud s’arrête et contemple l’eau gisante d’une rade. Elle s’est étendue comme un édredon d’encre. Ahah! L’idée lui vient de se précipiter dans cette ruine marine, cette mélasse épaisse et endormie.
Chercher à se jeter à l’eau? Oui, nous en sommes rendus là, si reculés dans l’absurdité. Mais ne peut-on pas, précisément, atteindre foultitude de lieux, de pensées, quand on ne vaut rien? Qui craindrait d’abîmer du toc? Le désespoir fait voyager!

MENSONGE

Misia se cherche. C'est faux. Misia regarde dans la glace. Se regarde. Putain ! Elle a vraiment disparu. Ni reflet, ni ombre. Tourne autour du pot, cherche derrière son dos, se cache dans un tableau. Elle sautille sur place pour se souvenir de la couleur de la nuit. Qu'est-ce que c'est? Elle oublie.
Elle a tout oublié, la couleur de sa peau, la texture de ses cheveux, la rigidité de son pas lourd, son cou long, si long qu'on la surnommait ptitegirafe. Attend. Noir, voilà, c'est noir, la couleur de la nuit. Mais seulement lorsqu'il fait nuit noire. Le reste du temps elle est capricieuse, Misia ne la connait plus.

Deux voix, une nuit? un jour? Lombez.

Là-bas, il y a une femme qui pleure. C’est la première fois que je la vois, pourtant cette femme pleure à cause de moi. Elle est là, si loin, et je ne sais comment m’y prendre, si seulement je le savais. Les femmes, ca pleure si souvent sans savoir, sans comprendre. Un peu comme un moyen de défense ou d’argumentation. Pourquoi les pleurs veulent toujours exprimer quelque chose dans la souffrance de l’homme ?
Elle me regarde dans les yeux. Je me sens coupable. De quoi ? Je ne sais pas. Mais ses larmes… Ses larmes voilent ses pensées. Je sais que je devrais partir. Où ? Pourquoi ? Ailleurs. La laisser tranquille et cesser de lui faire du mal. La femme sèche ses larmes. Elle a un air décalé. Elle s’arrête devant le miroir, sort sa trousse de maquillage et se refait une beauté. Et son homme, moi, lui ouvre les bras... pour les refermer aussitôt.

14 juillet 2007, dans un jardin, Toulouse, le trio

Pourquoi le vent blanchit les lèvres de la jeune fille qui me regarde en face ? Je ne sais pas, dirais-je tout bonnement, peut-être avec un brin d’étonnement. Mais, passons. Je n’ai pas le temps de chercher le pourquoi du comment. Je dois rester concentré sur les faits. Et le seul fait qui importe, c’est qu’elle est là, en face de moi :
Elle porte à ses lèvres un verre de vin rouge. Il colore ses joues mais ses lèvres restent blanches, son sourire énigmatique, illisible.
Elle doit être malheureuse, toujours en brouille avec le nécessaire et le futile. Fouille dans son sac à main, un paquet de clopes, en prend une. Puis l’oublie à ses lèvres… Elle est ailleurs. Je le vois dans ses yeux. Ses larges lunettes noires n’arrivent pas à masquer un regard plein de spleen.
Dans son sac à main, il y a un billet de train. Un aller, sans retour. Cette fois, elle en est sure. Hier, elle a reçu un appel. Son père est en train de casser sa pipe. Je sens que je la perds. Ses yeux me fuient. Et puis ces satanées lunettes m’asphyxient.
Elle se lève, écrase sa cigarette sous sa sandale jaune. Je reste assis. Je lui ai déjà tout dit.

Le gentil cloporte photophile

La lune se levait à l'horizon, blanche comme une orange, et ronde comme un iPod. Ludovic sortit du lit et tomba dans les choux. Lorsqu'il se releva, couvert d'hirondelles empaillées, il se dit que ce serait une belle nuit. Il prit son nounours, le recoiffa de sa couronne d'épines, et partit dans le champ de fleurs phosphorescantes qui s'étendait au-delà de sa fenêtre. Là-bas, les énormes fleurs rouges avaient déjà empoigné leurs harpes et jouaient leur hymne silencieux qui faisait tomber les papillon blancs sur le lac. Déjà, ses rives commençaient à geler ; bientôt, l'île serait accessible à pied. On pourrait soigner nounours, là-bas, il n'aurait plus à avoir peur. Pour aller plus vite, Ludovic sauta à pieds joint dans une bulle de savon mauve qui s'envola dans la mauvaise direction. Effrayé, nounours le regardait avec ses grands yeux de boutons à quatre trous. Quand la bulle finit par éclater, elle projeta aux alentours une myriade de bris de sons, et Ludovic se retrouva sur une nouvelle plaine. Tout était blanc ici. Ludovic savait qu'il aurait du mal à retrouver le chemin du retour. Il commençait à être inquiet: nounours avait bien mauvaise mine. Soudain, un roulement de tambour lointain se fit entendre, et se rapprocha rapidement. Ludovic put bientôt voir à l'horizon un immense défilé de soldats de plomb qui venaient à sa rencontre. Il se mit sur le trajet du cortège, et les interpela :

- ohé, monsieur! Mon nounours est malade! vous pourriez m'aider, s'il vous plaît?

Mais les figurines continuaient leur chemin, imperturbables, se rapprochant chaque instant de Ludovic. Leurs rangs s'écartaient, et bientôt ils occupèrent tout l'horizon.

Retour

Dans le train, assis au milieu de touristes de tous bords, je regardais le paysage se dérouler. Le spectacle était surprenant; le vert, parfois supplanté par le marron, ne se laissait jamais dompter. C'était une lutte inégale, qui n'aurait de fin que lorsqu'apparaîtrait enfin le gris apaisant de la ville, ou que je me serais résolu à ôter les yeux de cette vomissure végétale continue, et à aller prendre un café au wagon-restaurant. Les idées diverses qui m'occupaient ne laisseraient pas place ce soir à celles de mon bouquin.
Je pensais surtout à cette femme que je venais de quitter. Je la connaissais mal et si bien à la fois. Je souris à la pensée de ses fossettes malicieuses qui otaient de temps en temps la gravité de son visage. Mais le souvenir de nos adieux me revint, et je dus dissimuler mon regard de peur que l'on puisse en apercevoir le reflet tremblotant.
Je pensais que marcher me ferait du bien, et je voulais me soustraire aux regards des touristes américaines d'en face. Qu'elles restent dans leur Cosmopolitan! Je partis pour le wagon restaurant. Au bout de déjouements difficiles le long de corridors étroits, je l'atteignis, seulement pour me rendre compte qu'il contenait un nombre encore plus grand de ces invertébrés capitalistes. Il me fallait néanmoins ma dose. L'endroit étant non-fumeur, je commandai un double expresso, et m'accoudai dans un coin du wagon pour le boire. Les parois en étaient couvertes d'une double rangée de fenêtres, mais le segment à hauteur d'yeux était laissé opaque, de sorte qu'il fallait s'affaler sur le bar ou se dresser sur la pointe des pieds pour pouvoir profiter de la monotonie du paysage. Je repensais à l'injustice des adieux que je venais de vivre en caressant la forme oblongue tendue dans la poche de ma chemise, et je me demandais bien si un de ces joyeux bovins trouverait quelque chose à redire si je prenais l'audace d'allumer ce délicieux cigare en leur présence.
Je choisis, une fois de plus, de ne pas aller jusqu'au bout. Je me contentai de fixer la paroi de plastique à hauteur de mes yeux en pensant à de délicieux souvenirs. Il me faudra encore bien du temps pour me rendre compte qu'ils ne sont que des flashes parmi beaucoup de souvenirs médiocres, voire mauvais. Je me dirigeai sans conviction vers mon compartiment mais subitement, un éclair me traversa l'esprit. Peut-être qu'après tout, cet adieu raté sur le quai de la gare avait été l'ultime croisée des chemins, le moment où jamais. Maintenant que j'avais tout gâché, peut-être bien que je n'avais plus rien à faire en ce monde. J'allais dans les toilettes et, me mettant debout dans la cuvette remplie d'eau, je commençai à dévisser l'ampoule du plafond.

Dance with me

Woohoo, YeehooWoohoo, Yeehoo (If I could escape)Woohoo, yeehoo (If I could escape)Woohoo, Yeehoo.
Les trois garçons étaient prêts à épater la maisonnée. Cela faisait deux semaines qu'ils répétaient la fameuse chorégraphie. Leur manager les attendait, accompagnée de ses deux meilleurs amis, Bordeaux et Marlboro. Avril et Gwen sautillaient d'impatience dans les coulisses tandis qu'ils n'en étaient qu'à leur troisième ligne de cocaïne. Deux de plus, et ils pourraient aller chauffer la salle comme eux seuls savaient le faire, avant l'entrée en scène de la star.
Malboro regarda à travers le rideau. Elle était là comme elle avait promis. Au premier rang. Jeune mais très mignonne. Il l'avait reconnu grace au tee-shirt rouge qui moulait parfaitement sa poitrine. Le même que celui de la photo envoyée le matin même. Elle se dandinait au son du playback, consciente des regards posés sur elle. Ses jambes légèrement écartées et sa main nonchalamment posée sur son sein droit, ses lèvres suivaient les paroles en silence, accentuant les voyelles en une mimique de film porno que seules les personnes derrière le rideau voyaient. Il sentait poindre une érection au moment où les lumières de la salle s'éteignirent complètement, laissant place aux applaudissements et hurlements de milliers de jeunes filles surexcitées.
Les 3be2 s'avancèrent alors, vêtus de leurs plus beaux maillots de lycra, déchaînant une vague d'hystérie collective et suraigue. Ils n'avaient pas atteint le centre de la scène, jambes écartées, prêts à débuter la fameuse chorégraphie qui ferait trembler la salle, que l'épaule de Marlboro éclata dans une gerbe de sang. Il s'écroula sur le dos et on entendit le hurlement de la fille au tee-shirt rouge:
-Caribouuuuuuu!
Les deux autres membres se penchèrent sur lui au moment où il poussait son dernier râle:
-Tu m'as tué...
Mais puisqu'il était Québécois, les autres eurent du mal à saisir, et crurent qu'il tentait de s'exprimer en japonais, langue qu'il avait toujours apprécié.
Le lieutenant Havana, dépêché sur place, n'eut aucune peine à déterminer les circonstances de la mort du cervidé canadien. Les débrits de l'omoplate, perforée de l'arrière par une balle de fort calibre, avaient déchiqueté le coeur et les autres organes internes du malheureux. Le suicide était flagrant. Les autres membres du band, dévastés, se grattait la tête avec circonspection. Ils savaient bien que Marlboro n'avait aucune raison d'en finir: il venait tout juste de s'acheter une magnifique caverne avec vue sur le fleuve, et s'apprêtait à y emmener sa compagne. Elle ne le savait pas, bien entendu, mais un bon coup de gourdin l'aurait certainement convaincue, et elle aurait eu tout le traînage de noces pour penser à son merveilleux avenir.
Soudain, contre toute attente, la foule massée autour de Marlboro s'écarta dans un cri d'horreur. La cicatrice qu'il avait présentée à tous comme étant due à une opération venait de s'ouvrir en grand, tout comme une fermeture éclair, et une mince fumée s'en échappa. Il y eut un silence et tous retenaient leur souffle, quand une petite tête chauve et verte ornée de longues oreilles pointues émergea soudain de sa poitrine. La créature regarda autour d'elle de ses yeux ingénus, ses oreilles frémissantes. Finalement, elle proclama d'une voix timide :
-Qu'est-ce que vous avez, tas d'cons?? Z'avez jamais vu un lutin? Allez, passez-moi une clope et arrêtez de me faire ces yeux de merlan frit, vous avez l'air encore plus abrutis comme ça!
Soudain, soudainement et d'une façon soudaine, tous s'esclafèrent d'un grand rire. Ha qu'il était bon d'avoir du plaisir entre amis. Caribou leur avait toujours paru rigolo, à la limite de l'étrange, mais là c'était le bouquet! Le fou rire était contagieux, et il atteignit même le gnome. La foule en liesse festoya du corps de caribou, et s'en fut, chantant et rotant à qui mieux mieux.

Crudités et autres détails

Elle était assise à sa table de cuisine. La nappe était verte. Un vert forêt. Sur la table, dans une assiette creuse des concombres découpés en fines lamelles et des tomates cerises. Dans le four, la viande se dorait. Le crépitement du bouillon qui s'en échappait la berçait dans une descente vers les souvenirs de son enfance.
Elle aimait cette ambiance. Elle prit sa ceinture et l'attacha soigneusement autour de son biceps. Se tapotant la veine pour la faire gonfler, elle humait à fond l'odeur du repas; ce serait tellement meilleur comme ça! Dans la petite cuillère en argent recourbée, le mélange commençait à frémir. Elle y plaça une miniscule boulette de coton au travers de laquelle elle aspira la substance, avec une seringue neuve.
Ses lèvres frémissaient. Impatience. Elle attendait. Elle se leva. Il fallait éteindre le feu. La viande était prête. Et la jeune fille était à point.
Les coups qu'elle donnait incessamment contre la porte de son cachot avait gagné en intensité ; l'odeur du rôti devait être une vraie torture pour elle. Il ne devait plus tarder. Il fallait qu'elle prépare. Il n'aimait pas la voir dans cet état. Elle savait qu'il voulait sa femme sobre pour qu'elle lui serve correctement à dîner et qu'il puisse ensuite bien profiter de son dessert. Mais après tout, un shoot de plus ou de moins... En plus, elle n'allait pas pouvoir aider son mari avec leur prisonnière, si ses mains continuaient à trembler de cette manière. Il lui fallait des gestes précis et net, sinon il la battrait encore, elle le savait bien. Mais pas ce soir, les choses allaient changer à présent!
Elle entendait ses pas dans le couloir, ça y était, il allait bientôt entrer. D'un geste expert, fruit de longues années d'études, elle planta la seringue et la vida dans son système cardiovasculaire. Immédiatement, elle sentit ses sens s'éveiller, ses mains arrêter de trembler, son esprit s'affûter. Elle fit disparaître le mince instrument de plastique entre ses seins. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas mis la main dans cette région, de toute façon. Elle remit sa ceinture en place, et rajusta sa manche. Finalement, elle prit la pose de la parfaite ménagère, regardant amoureusement le rôti au four en attendant de pouvoir le servir à son Homme.
Elle entendit son pas assuré malgré la malformation qu'il avait au pied droit. Il ouvrit la porte de la maison et s'avança vers la cuisine. Il huma la viande en grognant. Il était beau et cruel. La porte de la cuisine s'ouvrit sur son torse poilu. Sa cravate pendait, et sa chemise était déboutonnée, signes de la fin d'une longue journée de travail. Viril, il s'empoigna l'entrejambe et renifla un grand coup, déclarant "j'ai faim!" à sa bien-aimée.
Les yeux grands ouverts en une piètre imitation de l'amour éperdu qu'elle lui vouait autrefois, elle lui approcha sa chaise, et plaça une bière décapsulée sur le chemin de sa main ouverte. Ce serait bientot l'heure de sortir la petite du cachot. Le mari engloutit bruyamment la moitié de sa bière en se grattant l'entre-jambe. Il exposa ensuite ses projets à sa femme , sous la forme d'un regard prolongé sur la porte blindée qui résonnait périodiquement. Il commença, avec des gestes lents, à défaire sa ceinture, et elle savait, elle savait que c'était le moment d'agir; elle n'aurait pas d'autre chance! D'un geste qu'elle avait répété des centaines de fois en imagination, elle sortit la fourchette à rôti et la plongea à l'endroit où une érection naissante déformait le pantalon de son mari.
Sur le moment, il n'eût aucune réaction. Puis, lentement, sa mâchoire s'affaissa et ses yeux devinrent aussi ronds que deux euros. La porte du cachot ne tonnait plus. Il pencha son regard sur la longue fourchette qui saillait de son entrejambe telle une magnifique érection d'acier inoxydable. Il s'affaissa de sa chaise, le souffle coupé, au moment même où la première goutte de sang venait éclabousser le parquet.
Sylvie ne pouvait pas admirer le spectacle. La première partie de son travail était finie, mais le plus dur était à faire. Elle saisit le couteau à filets fraichement aiguisé et se dirigea vers la porte. Elle entendait les soupirs et les larmes de joie de la prisonnière persuadée que son calvaire touchait à sa fin. Sylvie s'affaira à taillader minutieusement chaques extrémité de son mari. Le parquet était couvert d'une marre de sang, à présent. Le cachot était complètement silencieux, trahissant la terreur de la prisonnière dépassée par l'horreur de ce qui avait lieu devant ses yeux. Puis, Sylvie se leva et se dirigea vers l'armoire où était rangés les gros ustensiles de cuisine, et en revint avec une énorme marmite, où elle fourra les membres épars de l'homme. Jambes écartées, chaudron à bout de bras, elle regarda ensuite la cellule en se demandant comme une si petite prisonnière réussirait à avaler autant de viande en une seule séance...
Elle entreprit d'allumer le feu dans l'âtre qui n'avait pas servi depuis des années. Une fois satisfaite de la flamme, elle accrocha le chauderon à la lourde chaine prévue à cet effet. Elle assaisonna la préparation avec les gestes surs d'une ménagère expérimentée. Du cachot s'élevait désormais un gémissement continu, presque inaudible. Elle plongea lentement morceau après morceau dans le jus bouillonnant, et laissa mijoter ce plat, puis frappa de sa grosse cuiller de bois sur la porte du cachot:
-Ta gueule, grognasse!
Le gémissement cessa, les yeux verts disparurent du judas, et un frottement sourd se fit entendre lorsque la prisonnière s'enfuit au coin le plus éloigné de la petite cellule. L'odeur du nouveau repas avait désormais remplacé celle, appétissante, du rôti. C'était une odeur âcre, mêlée de bouillon, de sueur et d'excréments. Sylvie ne semblait pas y prendre garde, lorsqu'elle tournait sa cuiller en appréciant la couleur de la sauce de son oeil expert. Elle touillait froidement le jus épais et bouillonnant tandis que le sang de feu son mari séchait déjà sur ses avant-bras. Elle avait l'oeil vide, les gestes machinaux d'un mort-vivant. La dernière parcelle d'humanité s'était brisée en elle.
-Alors écoute-moi bien salope, voilà ce que tu vas faire...
Et pendant qu'elle sortait sa grande planche à découper d'une armoire et la déposait sur la table en désordre, elle expliqua son plan macabre à la prisonnière dont les yeux s'écarquillèrent de plus en plus dans la pénombre. Elle tenta de résister lorsque Sylvie entra, mais ne put rien faire, affaiblie par des semaines de cachot. Lorsqu'elle fut fermement menotée à la chaise, elle-même vissée au sol, son supplice commeça. Sylvie lui avait raconté en détail ce qui l'attendait, sachant que ça ne ferait que renforcer sa terreur.

Devant le miroir

Elle n'était pas vieille, mais elle en avait l'air. Son visage avait été tranché par trop de larmes et la misère l'avait marquée au-delà de ce qu'un sourire peut effacer. De nombreux caniveaux sillonnaient son visage, par lesquels s'écoulait ce qui lui restait de jeunesse: le nectar des joies oubliées, le souvenir d'une vie meilleure. Elle n'était maintenant plus que le reflet d'elle-même. Il fallait néanmoins qu'elle paraisse une autre, juste pendant une heure. Elle était prête à tout pour se refaire une beauté, même si cela risquait d'empirer les choses par la suite.
Elle examina les produits posés devant le miroir, hésitante, comme si elle les voyait pour la première fois. Était-il sage d'entamer, vu l'état dans lequel elle était, un cycle aussi compliqué? D'un geste las et résigné, elle finit par saisir le fond de teint. Autant en finir tout de suite. Sans pitié, d'une main brutale, elle s'asséna de grands coups de poudrette. Son visage fut bientôt recouvert d'une épaisse couche mate. Les rides étaient moins visibles, mais ses yeux et sa bouche fanés trahissaient sa laideur. Qu'importe ? des traits de couleurs intenses les réhausseraient bientôt. Au moins, on ne dirait pas qu'elle n'avait pas fait l'effort.
Puis, relevant les yeux, elle l'aperçut, elle, cette jeune fille d'antan qu'elle aimait regarder. Grâce aux trois kilogrammes de graisse de phoque qu'elle s'était étendue sur le visage, elle avait retrouvé sa jeunesse. Ça tenait à peu de chose, finalement. Elle aussi, elle pouvait ressembler aux filles fraiches du jour, moyennant quelque artifice. Agrippant sa vieille poupée de chiffon, elle se mit à danser en riant dans la pièce ; elle savait que c'était le dernier moment de folie qui lui serait permis dans les heures à venir. Les meubles écaillés, l'odeur des souvenirs, les joies éphémères, tout disparaissait dans ce tournoiement de l'oubli.
Mais cela ne dura pas. Après quelques pirouettes, elle se rappela qu'elle ne s'était pas faite belle pour se distraire, ni pour se rappeler sa jeunesse évanouie. Une ombre se posa sur son visage alors qu'elle finissait de préparer ses affaires. Etait-elle vraiment obligée de faire ça? Oui, elle était obligée, c'était le seul moyen de gagner de l'argent. Avant, elle était caissière, mais elle avait été renvoyée "pour cause de fraude". En effet, à la fin du mois n'étaient sortis de sa caisse que les 94% de ce qu'elle affichait avoir vendu, et on la traita de voleuse. Il n'y avait pas d'autre coupable apparent, on la renvoya donc. Après, elle avait longtemps cherché un travail, mais personne ne voulait d'une prétendue voleuse. C'était donc le seul choix qui s'était présenté à elle, et elle avait accepté, ne pouvant plus payer les 700 euros mensuels de son modeste appartement, qu'elle avait déniché dans un quartier malfamé de Paris. De plus, les gens disaient depuis toujours qu'elle avait un don pour la musique, mais elle n'aimait pas être exposée à tous les regards, surtout à ce moment de son existence, où sa beauté était fanée depuis longtemps déjà, et où elle n'était plus un plaisant spectacle pour les spectateurs d'un café-bar comme celui-ci.
Elle se disait bien que son trac était insensé. Sa prestation avait une unique utilité : changer les rôles de ses proches. Son mac était ainsi devenu producteur, son homme de main, éclairagiste, et elle était bien sûr chanteuse sosie de Dalida.
Dalida, elle l'avait aimé depuis petite. Toutes ses chansons. En particulier "il venait d'avoir 18 ans" qui la faisait sourire à travers ses larmes depuis toujours. Mais eux ne le savaient pas. Pensaient qu'elle jouait simplement. Qu'elle simulait.
Elle ajusta une dernière fois la robe en satin à paillettes rouges et mit ses sandales dorées. Elle gagnait ainsi 8cm et demi. Dans le sac à main argenté qu'elle emportait toujours avec elle, elle glissa le petit revolver. Un revolver gris métallique assorti à son sac à main. Coquette jusqu'au bout. Son sourire lui tordait le visage. Elle caressa le revolver à travers la légère étoffe de soie. C'était lui qui le lui avait offert.

Poème sur serviette en papier au réfectoire

Vincent: Désespoir au fond de l'abîme, j'aime bien faire des phrases qui riment.
Valérie: J'ai l'appétit coupé, ma gorge est nouée.
Vincent: Par la délicieuse queue de lote, qu'à ce moment même je rote.
Valérie: Ce soir je bouge, ma pisse sera rouge.
Vincent: À cause des bonnes betteraves, mangées Bord de Save.
Valérie: Ce soir nous déclamerons, des mots que nous vomirons.

Papillons et chaussettes

Sculpture sur prose exécutée lors d'une beuverie animale de Lombez:
"Elle enfonçait ses pieds dans des chaussettes de laine marron. Comme s'il était neuf. Comme s'il était tout neuf. Mais d'une absence d'une vraie joie d'exister. C'est une image lente. La même interrogation. Le même scénario inexpliqué. Je me figurais que la plupart des gens s'éloignaient de moi.Elle se tenait bien droite par volonté. Un bruissement de papillons. Sa pensée la ramena dans la chambre à coucher. Un moment a voleté dans la chambre. Quelqu'un naît.Ma voix dans la nuit. Un arrachement. Une absence ? Un homme, il faut que ça respire.Je vous reconnais."

La Naissance du Blog Bucolique

Il était une fois quelques animaux de forêts dispersées qui se rencontrèrent à Lombez pour apprendre à écrire et à boire d'une façon bucolique. Enfin, certains ne buvaient pas et d'autres mangeaient hallal, mais c'est une autre histoire. Un soir, déprimée, la petite souris grise du Liban attrapa un stylo bucolique et écrit une phrase sur un bout de papier qui passait par là. Le morceau de papier garda le stylo avec lui et l'apporta au guépard du Maroc pour quémander la suite. Il passa ainsi d'animaux en animaux: le caribou du Québec, le lièvre de Suisse, la petite biche de Turquie, le lapin enrhumé de l'île, l'ours bourru d'Haïti, la petite grenouille de Marseille, et refit le tour encore et encore. Si bien qu'il fut bientôt recouvert d'une histoire sublime qui comportait les émotions des quatres coins du monde. Épuisés, les animaux de la forêt s'étaient endormis et le papier était reconnaissant. Il décida donc d'aller s'enterrer lui-même, près de la cathédrale bucolique au centre de la ville. Peu de temps après jaillit du sol un immense platane , couvert de feuilles vierges prêtes à être couvertes d'écrits tous plus bucoliques les uns que les autres. Ainsi, pour le reste de leurs jours, les gentils animaux des forêts bucoliques du monde entier purent rester amis.
FIN BUCOLIQUE